La question brûlante du délai applicable aux recours entre coobligés en droit de la construction vient de faire l’objet d’une évolution décisive suivant l’arrêt de la Cour de cassation du 14 décembre 2022, qui fixe le point de départ du délai de l’action entre coobligés à l’assignation au fond (C.Cass.,  Civ 3ème, 14 déc. 2022, n°21-21.305).

 

En effet, deux thèses s’opposaient sur cette question :

 

  • Une thèse voulant que le point de départ de ce délai court à compter du jour où l’intervenant à l’acte de construire, possible codébiteur tenu in solidum, est mis en cause en référé (C.Cass., Civ. 3e, 16 janv. 2020, n° 18-25.915 ; C.Cass., Civ. 3e, 16 janv. 2020, n° 16-24.352)

 

  • Une thèse, admise par le Conseil d’État, voulant que le recours ne puisse être introduit avant une demande de condamnation au fond ou en référé (CE, sous-sect. réun., 10 févr. 2017, n° 391722)

 

Au niveau des juridictions d’appel, les décisions étaient fluctuantes.

 

À titre d’exemple, la Cour d’appel de RENNES a considéré, dans un premier temps, que le point de départ de l’action en garantie entre coobligés court à compter de l’assignation en référé (CA Rennes, 15 janv. 2021, n°20/05170), mais a finalement changé de position pour considérer que ce point de départ court à compter de l’assignation au fond (CA Rennes, 8 sept. 2022, n°21/02109).

 

Cette dernière solution posait de sérieuses difficultés.

 

En effet, on ne saurait véritablement affirmer que « l’assignation en référé-expertise délivrée par le maître de l’ouvrage à un constructeur met en cause la responsabilité de celui-ci ». L’action en référé-expertise tend à déterminer s’il existe des dommages, et, dans l’affirmative, à déterminer leur étendue, les modalités réparatoires et l’imputabilité de ces dommages à tel ou tel responsable. Une demande ayant pour objet de voir désigner un expert ne met pas en cause la responsabilité d’un intervenant, puisque, d’une part, il n’est pas acquis que le dommage visé dans l’assignation existe, et que, d’autre part, l’imputabilité dudit dommage à tel intervenant est à ce stade putative.

 

La solution était par ailleurs contestable sur le plan pratique. Elle conduisait à devoir initier au fond des procédures multiples, afin que chacun des possibles débiteurs finaux puisse préserver ses recours. Les juges du fond devaient ainsi faire face à la gestion administrative de nombreuses assignations, ordonner des sursis à statuer dans l’attente du dépôt du rapport d’expertise, ordonner des jonctions, rétablir des affaires, et ce, avec la totalité des parties à l’expertise alors qu’il se peut que le litige final se réduise sensiblement en termes de personnes concernées.

 

Ceci d’autant plus qu’il est possible et même souhaitable, que ces parties trouvent un accord sur la base du rapport, et qu’en définitive, le temps du fond ne soit pas encore venu.

 

La décision de la Cour de cassation du 14 décembre 2022, est donc salutaire car fixant le point de départ de la prescription quinquennale de l’action entre coobligés à la date à laquelle le maître d’ouvrage sollicite l’indemnisation de ses préjudices. Elle modifie sa jurisprudence pour éviter la multiplication des actions en garantie « préventives » des constructeurs entre-eux, situation qui comme elle le relève, nuit à une bonne administration de la justice.

(C.Cass.,  Civ 3ème, 14 déc. 2022, n°21-21.305)